Un échec qui soulève des questions
L’astronaute québécois David Saint-Jacques a assisté à l’accident d’hier en direct. Il se trouvait à Baïkonour en tant que membre de l’équipage substitut, et aurait pu être amené à prendre place à bord de la Soyouz en cas de malaise du copilote. Il n’a pas livré de commentaires après l’accident, qui soulève un grand nombre de questions. Les dirigeants des agences spatiales internationales ont tenté tant bien que mal d’y répondre. Compte rendu.
Qu’est-ce qui a causé la défaillance du propulseur de la fusée Soyouz ?
On l’ignore encore. Roscosmos, l’agence spatiale russe, a immédiatement annoncé la tenue d’une commission d’enquête. La NASA lui a assuré sa pleine collaboration et annoncé qu’elle tiendrait sa propre enquête. « Nous allons former notre propre équipe d’investigation, avec nos propres opinions et nos propres questions », a dit Kenny Todd, gestionnaire des opérations pour la Station spatiale internationale à la NASA, lors d’une conférence de presse tenue hier à Houston.
Hier, tant les responsables de la NASA que ceux de Roscosmos ont voulu insister sur une chose : les astronautes se sont tirés sains et saufs de cette situation critique, évitant un drame humain et montrant que les systèmes conçus pour les urgences fonctionnaient bien.
La mission de l’astronaute canadien David Saint-Jacques, qui doit partir pour la Station spatiale internationale à bord d’une capsule Soyouz le 19 décembre prochain, est-elle compromise ?
« Il faudra attendre de voir les conclusions de la commission d’enquête. Le nouveau calendrier de vol sera discuté avec tous les partenaires de la Station spatiale internationale », répond Gilles Leclerc, directeur général, exploration spatiale, à l’Agence spatiale canadienne. Selon lui, il est donc trop tôt pour dire si la mission sera retardée.
M. Leclerc a dit s’attendre à en savoir plus sur la date de lancement du vol de David Saint-Jacques « d’ici quelques semaines ». « L’expérience nous montre que Roscosmos travaille assez vite. Ils connaissent bien leurs véhicules. Mais il faut aussi que l’enquête se fasse de manière sérieuse. On parle de quelques semaines parce qu’on se base sur les antécédents, mais on est encore dans l’ombre par rapport à ça », a précisé M. Leclerc.
Qu’advient-il des astronautes déjà à bord de la Station spatiale internationale ?
C’est l’une des questions qui étaient sur toutes les lèvres, hier. L’accident fait en sorte que ceux qui devaient les relever de leurs fonctions ne sont pas au rendez-vous. Le fait que les fusées Soyouz sont clouées au sol le temps que l’enquête suive son cours complique aussi les choses. La NASA a admis hier qu’il est possible que les trois astronautes actuellement à bord (l’Américaine Serena M. Auñón-Chancellor, l’Allemand Alexander Gerst et le Russe Sergueï Prokopiev) restent plus longtemps que prévu dans l’espace. « Nous avons parlé à l’équipage. Ses membres vont bien et nous ont assurés qu’ils étaient prêts à servir aussi longtemps que nécessaire », a dit Reid Wiseman, astronaute en chef de la NASA.
La NASA assure que l’équipage a plus qu’assez de nourriture, d’eau et d’air pour prolonger son séjour. Il y a toutefois un échéancier. La capsule Soyouz qui doit les ramener sur Terre et qui est actuellement amarrée à la Station spatiale a une « durée de vie utile » et ne doit théoriquement pas passer plus de 200 jours en orbite. Le début du mois de janvier apparaît donc comme l’ultime limite pour eux.
La Station spatiale internationale pourrait-elle rester vide ?
En un mot, oui. Advenant une interdiction de vol prolongée des Soyouz, la NASA a assuré qu’elle pourrait continuer à faire voler une Station spatiale internationale vide autour de la Terre en contrôlant ses systèmes depuis le sol une fois l’équipage actuel ramené au sol.
En septembre, un trou a été découvert dans la capsule Soyouz amarrée à la Station spatiale internationale. Cela fait donc deux incidents qui touchent les Soyouz en quelques mois, alors que ces véhicules volent sans problème majeur depuis des décennies. Y a-t-il un lien entre les deux événements ?
« Non, absolument pas », répond Gilles Leclerc, de l’Agence spatiale canadienne. M. Leclerc rappelle que contrairement au premier incident, l’échec d’hier n’a pas touché la capsule habitable de la fusée Soyouz.
Quel degré de confiance règne-t-il actuellement entre les agences spatiales russe (Roscosmos) et américaine (NASA) ?
La question a été soulevée hier par des journalistes. En septembre, après la découverte d’un trou dans la capsule Soyouz amarrée à la Station spatiale internationale, Roscosmos avait avancé la thèse d’un « acte délibéré ». Les autorités russes avaient suggéré qu’un astronaute américain à bord de la Station avait pu saboter la Soyouz pour forcer un retour sur Terre. Hier, la Russie a aussi parlé d’une enquête « criminelle » pour faire la lumière sur la récente défaillance – un adjectif qui n’a pas été expliqué et qui a suscité bien des questions. Kenny Todd, gestionnaire des opérations pour la Station spatiale internationale à la NASA, a toutefois assuré qu’il avait pleinement confiance dans l’enquête russe et que celle-ci se ferait en étroite collaboration avec la NASA.
L’accident survenu hier est-il unique ?
Non, mais il faut remonter à 1983 pour voir un accident touchant une capsule Soyouz habitée. Un incendie lors du lancement avait alors obligé à utiliser la tour de sauvetage, placée au sommet de la fusée, pour tirer la capsule habitée loin des étages inférieurs et sauver l’équipage in extremis. En 1975, un problème en plein vol avec le détachement du troisième étage de la Soyouz avait aussi obligé à interrompre la mission. Les deux cosmonautes avaient atterri dans le massif de l’Altaï, à la frontière de la Chine, après une réentrée dans l’atmosphère particulièrement violente qui avait blessé l’un des membres d’équipage.